lundi 22 septembre 2008

DES ATTENTATS COMMIS CONTRE LA POESIE

I

D'une même voix que mes amis les poètes, j'ai le désir de pousser un cri, un très long cri de liberté. Le monde tel qu'il est, que nous le subissons nous étouffe. Il meurtrit, écrase, anéantit la fibre poétique -donc forcement révolutionnaire- qui se love en nous et ne demande qu'à grandir pour s'ébattre en plein jour.
Mais la société veille à l'ordre: elle guérit cette gangrène subversive, cet inadmissible cancer par un gigantesque et grotesque coup de pied à l'intelligence... Ce coup de pied, c'est l'idée de productivité: il faut être productif toujours et encore, demain davantage qu'hier.
La société se montre fine: elle s'aide par un discours ressassé dans lequel elle accouple, sans crainte d'être accusée d'obscénité, l'idée de productivité à celle de... créativité! En quelques années à peine, elle a réussit le tour de force de remplacer le mot productivité -qui avait au moins l'honnêteté d'annoncer clairement sa couleur- par un terme dont elle a adroitement détourné la signification: créativité. Le tour était joué...
Depuis tout citoyen se veut et se croit créatif. La vendeuse, le tourneur-fraiseur, le golden-boy, la femme au foyer, l'ingénieur, le chauffeur de taxi, la coiffeuse, l'employée des Postes s'imaginent heureux de se croire créatifs tandis que se creuse en eux un vertigineux vide existentiel, un mal-être dont ils ignorent la cause. De fait, ils sentent obscurément qu'ils sont productifs, non créatifs. Chacun, pourtant, à l'heure du petit-déjeuner, dépouille avec espoir son horoscope quotidien afin de savoir s'il se trouve "dans un jour créatif". Auparavant, on aurait dit prosaïquement et avec beaucoup de bon sens, sans trace de ce pseudo-intellectualisme qui tue notre époque: "faire une bonne journée".
On a galvaudé le mot créativité, on l'a spolié, détruit, assassiné.
Car la créativité, l'authentique, elle est si difficile à atteindre; combien d'êtres peuvent-ils se vanter de posséder une véritable créativité? Si rare demeure la créativité que tout être la rencontrant devrait pleurer d'émotion, de bonheur et lui rendre hommage. Voici mon dessein avoué et c'est aussi, je le crois, un fort beau destin.
Oui, on a galvaudé sur notre monde jusqu'à l'idée de créativité.
La créativité qui est Poésie, pouvoir de l'imaginaire, dangereuse en soi parce qu'elle est une révolution de l'esprit -donc des mentalités- on tente tous les jours de la tuer.
Mais si la Poésie est mise au rebut, elle n'est pas pour autant morte, elle couve simplement discrètement sous la cendre, s'élabore dans la sensibilité de ces quelques humains vraiment créateurs dont la plupart nous demeure encore invisible. Mais demain nous les connaitrons tous car l'humanité se lassera d'être si hautement productive et les laissera à nouveau libres de s'exprimer.
En attendant ce jour, créateurs trop peu connus ou toujours inconnus, je vous encourage et vous respecte. Vous, le pouvoir poétique en action, courage! Nous avons besoin de vous, même l'ignorant.

Amateurs de Poésie, tendez vos sens: écoutez, lisez, observez! La Poésie est toujours en marche!
Et vous, Poètes, je perçois déjà vos mots, vos dessins, vos films, vos statues, vos désirs, vos vertes et vertigineuses insolences qui savent si bien nous remettre en question...

Pamphlet écrit par Laure Gerbaud, en 1989-90. Je décide de publier ce texte parce qu'en retombant dessus, j'ai trouvé qu'il n'avait pas pris une ride. La suite Des attentats bientôt...
Toutes reproductions de mes textes et images sont interdits. Merci de me demander l'autorisation.

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