lundi 22 septembre 2008

DES ATTENTATS COMMIS CONTRE LA POESIE (SUITE...)

II

J'ai la révolte à fleur de peau comme une eau qui bouge en moi, sinueuse et fluide. Je méprise les mots du langage convenu, les traditionnelles fleurs de la Poésie et ses majestés de tombeau. J'ignore volontairement les gaîtés d'outre-tombe dont les humains veulent nous faire croire qu'ils se régalent, je méconnais les politesses du monde, les règnes élègants des rois, les pas feutrés dans les salons aux tapis de soie. Je piétine et haïs ces châteaux-là tout sucrés de l'hypocrisie du monde fourbes des invivants car je suis différente: je mange à pleine bouche la vie crue, rouge, plongeant des doigts avides sur son essence de chair.
Aussi loin que ma vie me portera, aussi longtemps que je marcherai à la découverte d'autres paysages, aussi tendrement que tout l'amour que j'aurais éprouvé pour cette terre à la seconde de mon dernier souffle, mon dernier rire ou mon dernier sanglot, je ne saurai que le corps violent au coeur qui meurt et renaît sans repos, sans raison, sans espoir non plus, mais corps qui va, vient, use de sa force sans compter, généreux, corps qui se meut avec indécence, amour, passion. Je déchire la chair de la vie dans ma bouche et la dévore, les dents encombrées de ses filaments vigoureux, élastiques, bruyants. Immense morceau de barbaque que la vie, viande brute et écarlate à consommer immédiatement car elle ne peut attendre, se gâte, pourrit! Je mange, je crie, je jouis de cette chère de délices. La viande de la vie aura toujours pour moi ce goût merveilleux de révolte, de refus, de liberté et d'indépendance. Je soigne quotidiennement ce plat-là, même inconsciemment, sans trêve, et mes repos de la nuit sont eux-mêmes chargés de son odeur de violence: car l'authentique fumet de la vie possède cette insolence que l'on voit aux visages des damnés dont je me revendique immodestement.

Ai-je jamais compris cette autre vie que je ne nomme pas la vie et qui est construite par ces règles inflexibles dont je ne peux, dont je ne veux user? Ai-je jamais saisi les mots d'ordre ou de modération, ai-je jamais désiré le calme de mon âme, la sagesse de mon corps? J'ai préféré croire au romantisme certes un peu ridicule mais touchant d'une existence aux manigances surprenantes des destins imprévisibles, aux hautes joies des passions d'enfance que l'on ne désire en rien guérir mais au contraire éprouver; je veux croire à une destinée qui ne sera façonnée que par une longue et cruelle expérience de l'indépendance.
Fort le goût de la révolte, forte la saveur du sang de l'existence, de sa chair lourde et pleine d'éternels et hasardeux poèmes, oui, fort ce goût que je veux éprouver, et puissante et tenace cette senteur de barbaque qui monte aux narines des passionnés par le désordre dément de la vie. Aurais-je jamais le temps d'en saisir tous les goûts, tous les parfums écoeurants mais attachants, toutes les couleurs cruelles mais adorables?

Ecrit par Laure Gerbaud.

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