jeudi 25 septembre 2008

DES ATTENTATS COMMIS CONTRE LA POESIE (SUITE...)

V

Existerait-il de plus cruelle atteinte à la Poésie que celle de nous supprimer le loisir du sommeil? Peut-on songer à plus horrible meurtre que celui d'étrangler nos songes avec le fil de soie tranchant de la privation?

Je ne sais pas dormir d'un sommeil blanc; mon imagination m'entraine toujours vers des délires dérivants de la pensée première avec laquelle je m'étais couchée. Elle m'entraine comme le plongeur sur sa toile de fond océane se laisse insensiblement guider par des courants qu'il croit naïvement maîtriser. Pareillement je me laisse balloter doucement par mon inconscient comme ces fruits trop mûrs qui chutent et roulent dans l'herbe pour un coup de vent. Ainsi vont ma vie et mes rêves: je en sais rien contrôler. La nuit, je plonge sous la couverture violente d'un sommeil rouge et noir et m'y abandonne sans même l'espoir d'y découvrir d'essentielles vérités car celles-ci sont contraires à la Poésie que je veux non faite de raisons mais de contradictions , de suites en apparence hasardeuses, de coïncidences imprévisibles.
Le monde de la non-pensée ou pensée inconsciente est au premier abord étrange, plein de violences dont nous nous croyons incapables et également d'anges que nous ne nous croyons pas davantage capables d'inventer: car pour créer l'idée de l'ange, il faut être bon. Est-ce le vrai ou le faux moi qui agit dans mes songes? Est-ce moi ce monstre haï? Est-ce moi cet être de douceur? Suis-je l'un, l'autre, les deux peut-être? Se jeter dans le puits des rêves, n'est-ce pas entrer dans le domaine où vit notre personne réelle, j'entends par là le mythomane, ce héros et cette fripouille à la fois, retrouver aussi cette pensée qui nous obsède et son inverse? Sommes-nous jamais plus vrais que dans notre sommeil et sommes-nous davantage poètes?

Je ferme le piège délicieux de la nuit sur moi. Une main s'accroche à la mienne, m'entraine vers des ténèbres profondes comme un puits que je ne soupçonnais pas. Je ressens cette même peur salutaire que l'on éprouve certains soirs de confidences quand nos amis nous révèlent les atroces erreurs de notre passé que nous ne saurions démêler seuls. Me surprends cette même souffrance au coeur, qui se fige, glacé comme un bloc de marbre, cependant que nous sommes satisfaits car nous savons qu'à nous entendre raconter par d'autres, nous allons nous rencontrer nous-mêmes moins partiellement, , nous reconnaitre et parvenir peut-être à nous corriger.
C'est avec ce désespoir affreux et courageux que je plonge dans la nuit. La main continue à me guider tandis que je gravis des marches avec légèreté. Ce jeu dont j'ignore les règles ne m'inquiète plus. Une lumière fine, blanche, ronde et minuscule comme une étoile me lance un bref appel. Je marche vers elle, condamnée à la suivre qui s'éloigne devant moi. il me semble soudain que mon sang suinte et s'égoutte de ma peau, et la main quitte ma main, disparait dans l'éternité nocturne. je n'ai pas peur de mon sang qui goutte avec un rouge de fleur de pavot à peine discernable dans la pénombre. Je pense ne jamais mourir. je poursuis ma marche. il me semble simplement me vider de toute une existence que je m'étais prêtée par erreur, qu'elle s'en va là, se dissout dans la nuit, son ombre et son silence. Soudain, la main me ressaisit. Elle émane de la lumière et je peux la voir pour la première fois. Elle est blanche, semble gantée mais ne l'est pas: C'EST UNE MAIN DE MARBRE VIVANT, zébrée de rose et de bleu. Elle pourrait être effrayante mais elle est si sereine , si belle que je ne puis que songer aux carrières de marbre en Italie, à Michel-Ange allant choisir lui-même le noble matériau de ses oeuvres, et à ce calme qui se glisse en moi. Le vide m'habite alors: je ne connais plus ni loi ni rien qui me rattache au monde diurne, je ne suis qu'une âme, un animal gravitant dans un espace vide et noir, rassurant parce qu'IL NE REPRESENTE RIEN. Je découvre gravement et sans affolement le RIEN. La main, posée sur la mienne, est une longue caresse sans mouvement. Je m'assoie sur mes talons et sombre, chute, me retourne sur moi-même au ralenti, pieds en l'air. Je suis en lévitation dans un espace sans horizontales, verticales ou obliques car il n'y a plus de perspective, plus de SUBSTANCE, PLUS DE MONDE, PLUS RIEN. Je comprends que cette main, c'est le VIE, et ce vide le CALME dans lequel nous désirons la vivre. La sérénité de la vie est partie liée au vide, au rien. Celui qui ne le ressent pas ignore tout de cette main splendide, à la fois lumineuse de pureté et puissamment colorée, de sa noblesse, son rôle amical de guide, sa caresse perpétuelle. La VIE, cette main qui nous entraine dans des obscurités dont nous ne saisirons jamais le sens devrait nous emmener à ce VIDE SEREIN. Je m'en rends compte tandis que je gravite dans le rien, m'y meus, y tournoie sans un geste de trop. Et comme toutes les étoiles, inutiles mais cependant présentes, je gravite dans le néant calmement, sereinement, ne désirant rien, ne revendicant rien, VIVANT JUSTE AFIN DE VIVRE.

Ecrit par Laure Gerbaud.

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