mardi 28 octobre 2008

LITTERATURE: LE PELERIN DE PARIS

Paris. Symboliquement Paris. Paris, ses grandes orgues, ses bâtiments, ses orgueils nationaux, ses verrues, ses chancres, ses terrains vagues de banlieues prolétaires, ses éparpillements , ses cheveux de folle la Seine, ses affluents, ses ports où guinchaient mêlés le peuple et les bonnes familles comme à l'Ile de la Jatte, ses champs de course d'Auteuil, le noble faubourg Saint-Germain des Près où se tenait le haut du pavé au siècle des Lumières, Paris ses femmes ses enfants ses hommes ses vieillards ses chiens ses cancrelas sa misère sa beauté sa vieillesse ses mille et mille coutures de ville mal ravaudée, Paris ses entrées de métros comme des bouches d'ogresse, Paris, Paris, Paris, enfin.
Enfin quoi?
Paris.

On a jamais fini de parler de Paris. Même quand d'autres l'ont décrit et mieux que moi. Paris à la lueur de leurs rêves lève un Paris différent et semblable à la lueur de mes rêves. Indifférence à mes ainés? Que non! Respect plutôt et admiration forçenée car longtemps je n'ai osé écrire un mot concernant Paris tant ils l'ont fait et bien fait. Aragon, Jules Romain, Balzac, ces trois-là surtout m'intimidaient. Mais il faut que je les oublie pour me consacrer à Paris. C'est un pèlerinage et c'est une envie. Paris ne s'oublie pas. On croit l'avoir chassée mais elle revient, entêtante comme un parfum de femme. Paris est une femme. Toutes les villes que j'aime d'amour sont des femmes. Mais Paris! Paris plus que toute autre représente pour moi La femme. J'insiste sur le La. Paris symbolique. Paris entrée dans mon coeur. Paris voleuse de mon âme. Paris aimée et admirée. Paris dédaignée et méprisée. Paris tour à tour revisitée et abandonnée. Paris à jamais inoubliée. Paris, ce grand corps de femme.

Prenons Paris en son centre symbolique, légèrement déporté sur la gauche de la rive gauche, car il faut bien que le voyageur venu de loin commence sa visite, Paris dans son symbole extrême de féminité, Paris où court le monde entier, ce qu'il veut voir en premier, ce qu'il visite en l'escaladant effectivement avant tout autre chose et avant de se laisser aller à l'abandon complexe de ses rues, Paris-Tour Eiffel, cet immense sexe de femme mille neuf-cent écartelé sur la Capitale que les badauds, amoureux et émerveillés, contemplent en levant le nez, dépassés par tant de fantaisie, de dentelle de fer convulsive, par la hauteur impressionnante de ses longues jambes arqueboutées, Tour Eiffel sexe noir au treillis touffu, au sommet duquel des hommes, des femmes, des enfants observent l'immensité souple et tortueuse de ton corps sans parvenir à en distinguer les extrémités, noyées dans la brume des usines, Tour Eiffel beau sexe dénudé, belles cuisses de fer déshabillées et tout cela étonnant parce que sans honte, parce que nul de ces étrangers ou de ces parisiens, aveuglés par ta beauté, ne saisissent que tu es le culte de Paris, son rayonnement, son attirance magique, c'est-à-dire son sexe obscène et beau. C'est que l'érotisme de Paris ne se dévoile pas à la conscience de qui veut mais de qui l'aime autrement que par curiosité, par ouïe-dire, par guide de tourisme interposé, par habitude. Ce qui n'empêche pas des millions de gens de venir grimper à l'assaut de la Tour Eiffel chaque année: japonais excessivement portés aux clichés photographiques, petites mouches jaunes tourbillonantes et affolées, américains ventrus et dépenaillés, caricatures vivantes d'ice-creams roses peau de bébé, allemands gueulards et assoiffés de filles et de bières munichoises, provenciaux aux yeux apeurés... et tout ceux-là ne savent pas que la Tour Eiffel est le sexe de paris, le diamant de paris, son intimité violentée et tout le monde vient ne sachant pourquoi: on ignore que le spectacle est ici un strip-tease permanent mais on doit bien le sentir car, enfin, pourquoi se déplacerait-on du bout du monde, pourquoi s'extasierait-on tant? Le peuple est ignorant, la tour Eiffel arrogante. Elle les charme, les séduit, les entortille, les réduits, et les enfants eux-mêmes repartent les prunelles emplies de rêves pour les jours et les nuits à venir...
C'est étonnant mais c'est ainsi: la capitale ne possède un sexe que depuis que l'exposition universelle de mille neuf-cent. Voici le cadeau que le nouveau siècle fit à Paris: la doter d'un vrai sexe de femme!
Toutes ces personnes, ces minuscules fourmis noires suspendues au sexe de paris! Et autour des jardins plats à la française, terriblement ordonnés, qui laissent la pleine perspective sur l'élévation des jambes et des cuisse sublimes gainées de noir métal et le gouffre du sexe à proprement parler, étonnament profond, qui se creuse et s'élève sur des dizaines de mètres. Et les fourmis escaladent, parlent, balbutient, s'extasient, et admirent le panorama du corps de Paris, sa peau de toits, d'antennes, de goudrons, ses flancs de murs, ses courbes de sculptures, ses cheveux d'eaux, de bassins, de fontaines, de fleuve, ses seins de butte de Montmartre et de Butte aux Cailles, ses escarpements intimes d'aisselles, ses muscles ronds de dômes, et le vis à vis absurde du Palais du Trocadéro sur la rive droite, prétentieux et carré comme une farce, ces fourmis noiraudes tendent l'oreille pour perçevoir les balbutiements de Paris, ses gémissements d'automobiles, ses rumeurs de femme mal éveillée, ses colères de marteau-piqueurs, ses joies de concerts et de boites de nuits, ses éreintements de femme blessée car on voit bien, de là-haut, que Paris souffre la torture des grues, comme des piqûres d'insectes, mais plus grave ses flancs saignent dans l'écartèlement des excavatrices et les bull-dozers étalant le frais goudron lui laisseront de longs bleus luisants à l'âme et sur le corps à la manière de rues, d'avenues, de boulevards périphériques ou de la petite Ceinture qui dessine les limites de Paris...

Extrait: "Le Pélerin de Paris", roman écrit par Laure Gerbaud.
J'ai la nostalgie de Paris, ces temps-ci, vous l'avez compris...

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