samedi 11 octobre 2008

FERNAND LEGER NOUS PARLE DE WALL STREET...

En ces temps de disette économique (et plus encore pour les américains), je trouve à propos de laisser parler Fernand Léger de Wall Street. J'ai la chance de posséder un livre superbe: "Mes voyages", livre écrit et illustré par Fernand Léger, grand format, préfacé par Aragon et tout, et tout... Cette édition en fac-similé de 1960 est introuvable aujourd'hui. Ce livre-somme de beaucoup d'écrits (et qu'il écrivait bien ce merveilleux peintre!!!), ce n'était pas possible que je ne vous en fasse pas profiter un peu. Cet extrait est daté de 1931:

" Wall Street le jour, trop décrit, mais Wall Street la nuit. Wall Street à deux heures du matin. Allez-y voir une lune éclatante et sèche. Le silence absolu. Personne dans ces rues étroites et étranglées par la projection violente des lignes coupantes et des perspectives multipliées à l'infini vers le ciel. Quel spectacle? Où est-on? Un sentiment de solitude vous oppresse comme dans une immense nécropole. Le pas résonne sur le pavé. Rien ne bouge. Anéanti au milieu de cette forêt de granit, un tout petit cimetière avec des toutes petites tombes; si humbles, si modestes, la mort se faisant petite devant l'exubérance de vie qui l'entoure. Le terrain de ce petit cimetière est certainement le plus cher du monde.
Les "business-men" n'y ont pas touché; il reste là comme un point d'arrêt, une cassure dans le torrent vital... Solutionner la mort, ultime problème...
Wall Street dort. Continuons la promenade, j'entends un faible murmure régulier. Wall Street ronfle? Non, c'est une perforeuse qui, harmonieusement, commence son travail de termite. Aucun bruit. C'est la seule partie de New-York qui dorme vraiment. Il faut digérer les chiffres de la journée, les additions,les multiplications, l'algèbre financier et abstrait de ces milliers d'individus, tendus vers le grand problème de l'or. Wall Street dort profondément. Ne le réveillons pas.
A trente mètres sous terre, dans le rocher, les caves d'acier de l'Irving Bank. Au centre, des coffres-forts aux serrures magnifiques et brillantes, complexes comme la vie même. Un poste de police où quelques hommes veillent. Des microphones ultra-sensibles leur apportent les moindres bruits de la rue, et des bruits perçus dans les voûtes d'acier de la banque moderne. Une mouche qui vole on entend voler la mouche. Un vieux nègre déambule dans les rues en chantant doucement une vieille mélodie du sud. La chanson monte, se perd dans les architectures mais aussi elle descend aux microphones qui sous terre enregistrent discrètement la vieille chanson du sud.

J'ai fait un rêve. Wall Street ne dort pas. Wall Street est mort. Je repasse devant le petit cimetière. Ce ne sont pas les plus grandes banques du monde. Ce sont les orgueilleux tombeaux des familles des grands milliardaires. Là reposeront les Morgan, les Rockefeller, les Carnegie. Comme des nouveaux pharaons, ils ont édifié leurs pyramides. Ils seront enterrés debout comme des demi-dieux, et comme ces géants modernes deviendront légendaires et immortels, on leur a creusé mille fenêtres pour que le peuple sache que peut-être ils ne sont pas morts, qu'ils respirent, qu'ils reviendront encore une fois pour étonner le monde par de nouvelles constructions cyclopéennes. Mais, c'est un rêve. Wall Street est l'image de l'Amérique audacieuse, de ce peuple qui agit toujours et ne regarde pas derrière lui... "
1931

Peut-être faudrait-il maintenant regarder en arrière et en tirer des leçons? Pas seulement pour l'Amérique mais pour tout le capitalisme mondial... Mais cela semble mal parti: la Chine, La Russie, l'Inde, le Japon sont entrés dans la course capitaliste... C'est une spirale infernale...

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